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Workplace Trends - Les jeunes et le travail : c’est compliqué…


… mais pas au sens où on l’entend communément ! Souvent associés à l’idée de la « Grande démission », les jeunes générations apparaissent au contraire attachées au travail, mais confrontées à un décalage entre leurs attentes et leur réalité professionnelle. Une récente enquête publiée par l’Institut Montaigne dresse l’état des lieux de cette relation ambiguë.

S’inscrivant dans la continuité de précédents travaux sur la jeunesse et le monde du travail, l’Institut Montaigne publie « Les jeunes et le travail : aspirations et désillusions des 16-30 ans », une enquête de terrain menée auprès de 6 000 jeunes de 16 à 30 ans. Celle-ci décrypte la relation qu’entretient la jeunesse avec l’activité professionnelle, démontant au passage certains clichés, levant le voile sur les facteurs d’insatisfaction et élaborant une typologie d’attitudes dans le rapport au travail des jeunes.

Une jeunesse toujours attachée à son travail

C’est l’un des faits essentiels relevé par le travail des auteurs — Yann Algan, Olivier Galland et Marc Lazar — : la satisfaction dans la vie des jeunes interrogés est étroitement liée à la satisfaction au travail. Ce constat, sans être révolutionnaire, vient en contradiction avec le discours répandu selon lequel les jeunes se détacheraient du travail et ne lui accorderait qu’un rôle marginal dans leur épanouissement. C’est notamment l’idée de « quiet quitting » ou la démission silencieuse. Or, si les jeunes adoptaient majoritairement cette attitude face au travail, l’insatisfaction professionnelle ne devrait pas avoir d’impact sur leur bien-être global.

Les résultats de l’enquête démontrent que la satisfaction liée à l’emploi occupé apparaît comme le facteur le plus fortement et positivement associé à la satisfaction de vie, même en tenant compte de la frustration liée à la rémunération, au contenu du travail et à la reconnaissance. En parallèle, le sentiment d’aisance financière des jeunes reste également corrélé de manière positive à leur bien-être général. Toutefois, là encore, l’importance de ce facteur demeure inférieure à celle de la satisfaction professionnelle. Toutefois, pour jouer pleinement ce rôle, il est indispensable que le travail génère un sentiment de satisfaction. Si cette satisfaction est effectivement présente chez une majorité de jeunes, elle reste loin d’être générale.

Contenu du travail et reconnaissance, les principaux facteurs de satisfaction

En mesurant les écarts perçus entre les attentes et la réalité, l’enquête de l’Institut Montaigne identifie les facteurs les plus déterminants dans la satisfaction dans l’emploi : le contenu du travail et la reconnaissance professionnelle sont les plus fortement corrélés — surpassant même la rémunération. Alors que ces critères ne figurent pas en tête des attentes initiales des jeunes, ils se révèlent déterminants une fois confrontés à la réalité professionnelle. Cette corrélation négative entre la frustration liée au contenu du travail et la satisfaction professionnelle est particulièrement marquée chez les non-cadres, ce qui suggère que l’occupation d’un emploi moins qualifié amplifie le sentiment de frustration lorsque les tâches effectuées ne répondent pas aux attentes en matière d’intérêt et de reconnaissance.

À l’inverse, les jeunes cadres semblent moins affectés par ces écarts, probablement parce qu’ils peuvent trouver des sources de satisfaction ailleurs dans leur travail, comme des opportunités de progression de carrière, des responsabilités accrues, ou des perspectives d’évolution futures. Il est également possible qu’ils considèrent ces frustrations comme temporaires, misant sur le fait que leur carrière leur offrira de meilleures opportunités à l’avenir.

Cependant, l’enquête détermine que les écarts entre les attentes initiales et la réalité sont toujours plus impactant que les autres variables. Par exemple, un cadre confronté à des frustrations concernant le contenu du travail, la reconnaissance ou la rémunération pourrait se montrer plus insatisfait qu’un ouvrier dont les attentes sont pleinement satisfaites. En somme, quelle que soit la situation individuelle des jeunes actifs (âge, sexe, niveau socioéconomique, etc.), la satisfaction au travail est principalement déterminée par le niveau de frustration ressenti sur trois aspects essentiels : le contenu du travail, la reconnaissance et la rémunération.

Rapport au management : gare aux idées reçues

Si les jeunes expriment des frustrations liées à leur travail, ce malaise ne s’explique pas uniquement par des attentes élevées déçues. Il révèle aussi des failles dans le management des entreprises qui les emploient. Pour jauger d’abord leur rapport à l’autorité, l’enquête a invité les jeunes à choisir entre trois attitudes face aux instructions de leurs supérieurs hiérarchiques. La première relevait d’une obéissance absolue ; la seconde exprimait une adhésion conditionnelle ; la troisième traduisait une indépendance totale vis-à-vis de l’autorité.

Les résultats révèlent une répartition assez équilibrée entre les deux premières approches : 42 % des jeunes se disent enclins à suivre les instructions sans réserve, tandis que 48 % adoptent une obéissance sous condition. En revanche, seulement 10 % rejettent totalement l’autorité hiérarchique. Des chiffres qui battent en brèche l’image d’une jeunesse foncièrement réfractaire aux règles, perception pourtant largement répandue et partagée dans l’opinion publique — et chez certains managers.

Autre facteur clé : la satisfaction liée à l’emploi occupé. Les jeunes qui se montrent rétifs à l’autorité attribuent une note moyenne de satisfaction professionnelle inférieure à ceux qui acceptent l’autorité sans réserve (6,5 contre 6,9 sur 10). L’adhésion aux règles semble ainsi conditionnée par le niveau de satisfaction dans l’entreprise, traduisant un lien fort entre bien-être au travail et acceptation des cadres hiérarchiques.

Le fléau du harcèlement

L’enquête de l’Institut Montaigne révèle une autre réalité alarmante : le harcèlement moral et sexuel est une réalité pour une part importante de la jeunesse. Un tiers des jeunes déclarent avoir été victimes de harcèlement moral durant leurs études et 11 % de harcèlement sexuel. Ces proportions sont encore plus élevées chez ceux qui sont encore en formation, atteignant 36 % pour le harcèlement moral et 14 % pour le harcèlement sexuel. Les jeunes femmes sont nettement plus touchées que leurs homologues masculins.

Dans le monde du travail, ces violences sont également présentes, mais dans une moindre mesure : 27 % des jeunes déclarent avoir subi du harcèlement moral en entreprise et 9 % du harcèlement sexuel. Bien que les femmes soient les principales victimes, les hommes ne sont pas épargnés, avec plus d’un sur cinq ayant subi du harcèlement moral et 7 % du harcèlement sexuel.

Les quatre typologies des attitudes des jeunes face au travail

L’étude aboutit à une typologie des attitudes des jeunes à l’égard du travail. Les auteurs identifient ainsi quatre profils de jeunes actifs.

Les frustrés (28 %)

Ces profils se distinguent en frustrés « contestataires » et frustrés « démotivés ». Ce groupe se caractérise par des attentes non satisfaites à l’égard de l’emploi occupé, ce qui entraîne une défiance et une détresse psychologique pour les uns, et une profonde désaffection du monde du travail pour les autres.

Les frustrés « contestataires » (10 %) sont les plus revendicatifs. Leurs attentes envers le travail sont élevées, sans que le poste qu’ils occupent y répond pour autant. Ces jeunes actifs se montrent très critiques vis-à-vis du management, en profond mal-être psychologique. Ils rejettent l’autorité hiérarchique, souhaitent quitter leur entreprise et envisagent souvent l’indépendance professionnelle. Il s’agit le plus souvent de femmes (64 %), employées (71 %), travaillant dans le commerce ou l’hôtellerie-restauration. Ils sont aussi fortement exposés au harcèlement moral (42 %).

Quant aux frustrés « démotivés » (18 %), ils partagent des attentes déçues, mais leur réponse est plus résignée. Ce sont les plus démotivés vis-à-vis du travail : beaucoup déclarent qu’ils cesseraient de travailler s’ils le pouvaient. Une part importante se déclare sans profession (29 %) au moment de l’enquête. Ceux qui ont un emploi souhaitent en général rester salariés. Là encore, ce sont majoritairement des femmes (59 %), souvent employées dans des très petites entreprises.

Les fatalistes (20 %)

Ces jeunes se caractérisent par des attentes très basses à l’égard du travail et un très faible niveau de frustration malgré une certaine insatisfaction au travail. Leur niveau d’aisance financière est correct (à peine plus bas que la moyenne). Malgré leur fatalisme, ils sont assez critiques du management. Ils appartiennent plus souvent au groupe des jeunes débutants, sont plus souvent d’origine étrangère et ont davantage suivi des filières professionnelles courtes dans la production. Ils sont aussi plus souvent que la moyenne sans profession au moment de l’enquête (25 %).

Les rebelles (20 %)

S’ils apprécient leur emploi, ils rejettent fortement la hiérarchie, ce qui peut se traduire par une volonté d’émancipation davantage marquée, notamment en envisageant de devenir indépendants ou entrepreneurs.

Les satisfaits (32 %)

Enfin, un tiers des jeunes actifs se distingue par un rapport positif et apaisé au travail. Ces « satisfaits » affichent un faible niveau de frustration, une relative stabilité émotionnelle et matérielle, et une confiance marquée dans leur environnement professionnel. Pour autant, deux profils émergent, différenciés par leur rapport à la mobilité et leur système de valeurs.

Les satisfaits « stables » (16 %) sont les plus ancrés. Ils ne rencontrent aucune frustration dans leur vie professionnelle : leur orientation, leur emploi et leur situation globale leur conviennent. Sans difficultés psychologiques ni financières, ils ne sont pas critiques à l’égard du management, ni de l’autorité hiérarchique. Ces jeunes valorisent la stabilité : 93 % ne souhaitent pas quitter leur entreprise et peu envisagent de devenir indépendants. Ce groupe est composé majoritairement d’hommes (60 %), plus âgés (25-30 ans), souvent d’origine française, occupant des postes d’employés ou de professions intermédiaires.

Les satisfaits « mobiles » (16 %) partagent ce faible niveau de frustration, mais avec des attentes plus élevées. Ils sont les seuls à accorder une importance particulière au fait de travailler dans une entreprise socialement responsable et engagée pour l’environnement. Très investis dans leur activité, ils manifestent une forte appétence pour le travail, mais aussi une volonté de changer d’entreprise. S’ils ne remettent pas en cause l’autorité ou le management, ils sont en quête de meilleures perspectives. Ce groupe est également majoritairement masculin (60 %), plus souvent cadre, profession intermédiaire ou indépendant, et travaille moins fréquemment dans de petites structures.

Loin des préjugés les plus communément admis, la jeunesse n’apparait pas comme massivement désengagée du travail. Leurs motifs d’insatisfaction reposent sur l’écart entre leurs aspirations et la réalité professionnelle sur des éléments assez basiques : contenu du travail, reconnaissance et rémunération. Au bout du compte, le bien-être au travail est le but poursuivi.

Les aspirations à l’entreprenariat

À rebours d’une ambition entrepreneuriale généralisée, les jeunes semblent préférer, autant que possible, construire leur carrière au sein d’une même entreprise. 70 % des jeunes n’envisagent pas d’avoir d’activité indépendante, confirmant leur attachement à une certaine forme de stabilité professionnelle. L’enquête révèle néanmoins qu’une part significative des jeunes exprime un désir d’indépendance professionnelle. Face à deux options proposées pour définir leur idéal de vie professionnelle : « Occuper un emploi salarié » ou « Avoir une activité indépendante ou créer sa propre entreprise », 44 % des jeunes salariés privilégient la voie de l’indépendance professionnelle. De plus, 40 % se déclarent prêts à se mettre à leur compte dans les cinq prochaines années, tandis que 34 % envisagent de créer une nouvelle activité ou une entreprise avec l’objectif d’embaucher du personnel.

Méthodologie

L’enquête a été réalisée en ligne, du 3 au 25 octobre 2024, par l’Institut Toluna Harris Interactive, qui a interrogé trois échantillons de jeunes âgés de 16 à 30 ans, chacun correspondant à une étape différente du parcours d’entrée dans la vie active et représentatif de la population concernée. Un échantillon de 1 066 « Scolaires et étudiants », âgés de 16 à 22 ans. Un échantillon de 1 951 « Actifs précoces », âgés de 19 à 22 ans. Un échantillon de 2 948 « Actifs avancés », âgés de 25 à 30 ans. La représentativité des échantillons repose sur la méthode des quotas et un redressement post-enquête a été appliqué à plusieurs variables sociodémographiques.