Stratégies

[REPORTAGE] Euroméditerranée : le ciel, les bureaux et la mer

Par Alexandre Foatelli | Le | Immobilier

Depuis 1995, l’Etablissement public d’aménagement Euroméditerranée (EPAEM ou Euromed) œuvre à réhabiliter les faubourgs du port autonome de Marseille. En près de 30 ans, l’aménageur a fait des 480 hectares dont il a la charge le QCA de la cité phocéenne, qui affiche des performances dynamiques et séduit les entreprises.

Entre immeubles totémiques, chantiers et urbanisme transitoire, Euroméditerranée opère sa mue. - © Alexandre Foatelli
Entre immeubles totémiques, chantiers et urbanisme transitoire, Euroméditerranée opère sa mue. - © Alexandre Foatelli

La volonté et la vision. La volonté de l’Etat qui, au milieu des années 1990, décide de sortir Marseille de son marasme économique en lançant une Opération d’intérêt national (OIN). En déclin depuis la fin de l’ère colonial, les activités industrielles intimement liées au grand port maritime avaient laissé un lourd héritage : une ville balafrée par des friches austères et désertées (un comble pour un bord de mer !) et un taux de chômage avoisinant les 25 %. La vision, aussi, de figures totémiques de la ville telles que Jacques Saadé, dirigeant de la CMA-CGM le plus grand employeur privé local, ou Marc Pietri, fondateur de Constructa, porteur de plusieurs projets dont l’incontournable tour La Marseillaise, conçue par Jean Nouvel. Tous deux ont cru au potentiel de développement, très tôt : Constructa a acquis les friches des Quais d’Arenc dès 2002 et en a fait la skyline de Marseille avec ses différents projets et l’appui de la tour CMA-CGM, inaugurée en 2011.

Les tours CMA-CGM et La Marseillaise, nouvelles figures du paysage marseillais - © Alexandre Foatelli
Les tours CMA-CGM et La Marseillaise, nouvelles figures du paysage marseillais - © Alexandre Foatelli

Pour mettre en œuvre la volonté étatique et orchestrer la vision des acteurs privés vers la création d’une ville désirable, l’Etablissement public d’aménagement Euroméditerranée (EPAEM) intervient sur un vaste terrain de jeu, en collaboration avec les collectivités locales, initialement de 310 hectares (Euromed I) puis de 170 hectares supplémentaires à compter de 2007 (Euromed II). Près de 30 ans après le lancement des opérations, l’aménageur peut se targuer d’avoir transformé entièrement un morceau de ville autrefois laissé à l’abandon et de l’avoir rendu attractif auprès des habitants et des entreprises et s’attaquer avec enthousiasme au chantier d’Euromed II.

Bureaux : en route vers le million de mètres carrés

Dans la globalité et une fois achevée, l’opération Euroméditerranée va profondément reconfigurer l’urbanisme : plus de 270 000 m² de commerce (75 % réalisés), 200 000 m² d’équipements publics (50 % réalisés), 18 000 logements neufs (50 % réalisés), 7 000 logements réhabilités (85 % réalisés) et plus de 40 hectares d’espaces verts (40 % réalisés). Sur le volet des bureaux, 720 000 m² sont à disposition des utilisateurs, et l’objectif est fixé à un million de mètres carrés.

 Le collectif ICI Marseille a investi une halle pour héberger des artisans - © Alexandre Foatelli
Le collectif ICI Marseille a investi une halle pour héberger des artisans - © Alexandre Foatelli

En complément des bureaux traditionnels, Euroméditerranée voit se développer une alternative de plus en plus conséquente. Acteurs du coworking et du bureau opéré se sont implantés, principalement le long des lignes de tramway T2 et T3 : The Babel Community, Newton Offices, Regus, Wellio, Hiptown ou encore Startway. Dans le cadre du développement en cours sur Euromed II, dans le quartier des Fabriques porté par Linkcity et Bouygues Immobilier, le choix a été fait de mettre en œuvre de l’urbanisme transitoire. Le collectif ICI Marseille a notamment investi la halle Paoli, offrant ainsi un lieu équipé pour que des créateurs et des artisans puissent exercer, tout en donnant vie à un bâtiment industriel désuet. Au total, la démarche d’urbanisme transitoire MOVE concerne neuf sites et 8 500 m².

L’EPAEM souhaite aussi miser sur la formation. « Marseille dispose d’un vivier démographique qui représente un potentiel de futurs talents. Notre ambition est qu’ils soient formés ici, près de leur lieu de vie et de débouchés professionnels potentiels », explique Corinne Orsoni. Quelques grands projets jalonneront l’avenir proche : la Cité scolaire internationale Jacques-Chirac - qui regroupera une école, un collège, un lycée et un BTS et 2 100 élèves ; l’Institut méditerranéen de la ville et des territoires (IMVT) - agglomérat de plusieurs institutions d’enseignement ; la Plateforme - un campus de formation au numérique qui pourra réunir 3 500 étudiants à terme.

En matière de performance, le marché de bureaux d’Euromed a, à l’image de la métropole Aix-Marseille-Provence fait preuve de résilience après la période Covid. En 2022, 32 705 m² ont été placés, à travers 52 transactions. Le quartier enregistre ainsi une hausse de 27 % sur un an et atteint un niveau très proche de la moyenne à cinq ans. Avec un tiers de la demande placée à Marseille et 20 % à l’échelle de la métropole, Euroméditerranée s’impose comme une locomotive du marché de bureau dans la région.

Sélection de transactions locatives et ventes à utilisateur au sein d’Euroméditerranée - © JLL/Immostat
Sélection de transactions locatives et ventes à utilisateur au sein d’Euroméditerranée - © JLL/Immostat

En termes de valeurs locatives, « nous allons de 220 euros/m²/an pour des actifs de seconde main à 320 euros/m²/an pour des actifs neufs », indique Corinne Orsoni, responsable Grands Comptes - Utilisateurs et Investisseurs d’Euroméditerranée. Le marché tertiaire d’Euromed présente une certaine tension, avec une offre immédiate contractée à fin 2022 de 20 400 m² et un taux de vacance de seulement 2,8 %. Le quartier d’affaires pourra compter sur son statut de catalyseur de projets, puisque les cinq plus importants projets tertiaires de la métropole sont concentrés sur Euroméditerranée. Ainsi, 67 400 m² seront livrés en 2023, auxquels s’ajouteront 45 500 m² en 2025 et 70 000 m² probables à plus long terme.

Avec de tels indicateurs, Euromed attire à lui les investisseurs immobiliers. En 2022, le secteur a enregistré un nouveau record avec 259 millions d’euros investis, soit 58 % du volume à l’échelle de la métropole Aix-Marseille-Provence (447 millions d’euros). Une performance presque exclusivement dû à l’achat par Perial de La Marseillaise auprès de Swiss Life AM pour 242 millions d’euros. Depuis 2020, plusieurs autres transactions notables sont à signaler : Astrolabe (92 millions d’euros - 14 500 m²), Totem (71 millions d’euros - 14 500 m²) et Grand Large (70 millions d’euros - 13 700 m²).

« Nos investisseurs sont ravis de constater que la vacance est aussi fiable… en revanche cela complique la venue de nouveaux utilisateurs qui ne trouvent que peu d’opportunités, résume Corinne Orsoni. Cela nous rend très confiants sur la pertinence des programmes à venir, notamment sur Euromed II ! »

Entreprises conquises

Pour mesurer concrètement la réussite de la mue du quartier, il suffit d’interroger les entreprises qui y sont implantées, à l’instar de Pernod Ricard, dont le siège tricolore (le siège mondial est parisien) a été déménagé depuis deux ans et demi au sein des Docks. Cet imposant paquebot échoué le long du port a été totalement repensé sous l’impulsion d’Amundi et de Constructa Asset Management pour accueillir des halles commerçantes sur ses 365 mètres linéaires et des bureaux dans les étages. À la suite de la fusion des entités Pernod et Ricard, l’entreprise a redéfini son schéma directeur immobilier. Comme pour son implantation parisienne, qui s’est recentrée en emménageant tout près de Saint-Lazare, le siège tricolore a délaissé le 14e arrondissement et les quartiers nord pour un des fleurons d’Euroméditerranée.

Les Docks, entièrement réhabilités, disposent de grandes cours intérieures - © Alexandre Foatelli
Les Docks, entièrement réhabilités, disposent de grandes cours intérieures - © Alexandre Foatelli

« En plus de la centralité, ce bâtiment fait tout de même écho à l’histoire du groupe puisque les matières premières à la fabrication du pastis transitaient par lui, raconte Julie Rochas, responsable des services généraux de Pernod Ricard France. Nous recherchions un lieu moins excentré, bien desservi. Nous avons pris la peine d’étudier au cas par cas les schémas de mobilité de chaque collaborateur en termes de temps de trajet et de coût pour les accompagner au mieux dans la transition ». Sur les 7 000 m² occupés par l’entreprise, les 350 salariés disposent d’un environnement de travail ouvert, lumineux et en bonne partie arboré autour d’un atrium sur trois étages. Une batterie de services (frigos connectés, bar, salle de sieste avec luminothérapie, salle d’allaitement, salle de sport) vient parfaire l’expérience collaborateur. « Nous avons fait le choix de conserver un poste de travail par personne et d’octroyer deux jours de télétravail possibles par semaine », précise Julie Rochas. Une politique immobilière facilitée par les niveaux de loyers encore loin des sommets parisiens, qui semble avoir des effets positifs sur l’engagement. « Le taux d’occupation peut avoisiner les 80 % sur la semaine, avec une chute autour de 60 % le vendredi », souligne Julie Rochas.

Dans les locaux de Constructa aussi, faire venir au bureau ne relève pas d’une difficulté particulière. Au 29e étage de La Marseillaise, les plateaux donnent soit sur une vue panoramique de la ville et de l’arrière-pays, soit sur la Méditerranée ! « Nos bureaux sont effectivement très attractifs et cela bénéficie au recrutement, concède avec joie Léa Levkovetz, directrice communication du groupe Constructa. Au-delà de la situation exceptionnelle à cet étage, la proximité d’une vraie vie de quartier, avec des commerces, des restaurants, des services qui se développent, constitue un atout supplémentaire en contribuant à l’équilibre vie pro/vie perso », poursuit-elle. Preuve de l’attractivité des bureaux marseillais de Constructa, les ressources humaines étudient la possibilité de proposer à des collaborateurs de Paris de tester la vie phocéenne durant quelques mois. « C’est en réflexion, notamment le recours à des offres de coliving pour héberger les testeurs durant l’expérience », indique Léa Levkovetz, qui se définit elle-même comme « marisienne » (contraction de « parisienne » et « marseillaise »).

« Durant longtemps, les utilisateurs que nous avons accueillis sur Euromediterranée étaient endogènes. On constate aujourd’hui un changement à l’œuvre avec des entreprises qui étudient la question de s’implanter nouvellement à Marseille, et les salariés sont souvent moteurs de ce mouvement », abonde Corinne Orsoni. L’avenir et le développement des opérations tertiaires sur Euromed II validera si les entreprises et leurs ouailles franchissent le pas et filent droit au but… à Marseille.