Stratégies

Si l’exode urbain n’aura pas lieu, les petites villes sont en première ligne des filières « vertes »

Par Alexandre Foatelli | Le | Immobilier

Le Baromètre annuel Arthur Loyd de l‘attractivité & résilience des métropoles françaises analyse la géographie de l’emploi en France. Sa 7e édition illustre que, loin des aspirations post-Covid, les grandes métropoles regagnent l’avantage dans la création d’emplois : 24 départements urbanisés concentrent 82 % des créations d’emplois et un emploi créé sur trois l’est en Ile-de-France.

Les Hauts-de-France, à l’image de Dunkerque, ont capté 7,2 mds€ dans les filières vertes au T1 2023 - © Getty Images/iStockphoto youaintseenme
Les Hauts-de-France, à l’image de Dunkerque, ont capté 7,2 mds€ dans les filières vertes au T1 2023 - © Getty Images/iStockphoto youaintseenme

Dans la foulée de la crise sanitaire, la croyance en un possible exode urbain a circulé, dopée par les exemples de ces citadins partis se confiner et télétravailler depuis leur maison de vacances ou chez leurs familles en régions. En 2021, dans son baromètre Baromètre de l‘attractivité & résilience des métropoles françaises et de la transition des territoires, Arthur Loyd soulignait une vigoureuse reprise des créations d’emplois post-crise sanitaire dans les territoires à la densité urbaine la plus faible : les villes moyennes, bourgs et espaces ruraux. Cette progression historique permettait alors d’esquisser une recomposition territoriale s’appuyant sur une certaine « renaissance rurale », conjuguée aux effets déjà anciens de la littoralisation et de l’héliotropisme.

Cependant, la 7e édition de l’étude parue dernièrement surprend par un état des lieux allant à l’inverse des tendances constatées l’an dernier. En 2022, la France connaît un phénomène notable de concentration vers les grandes métropoles.  Un phénomène qui s’illustre par le fait que densité urbaine rime avec fortes créations d’emplois. Ainsi, 24 départements sont à l’origine de 201 200 postes supplémentaires, soit 82 % des créations nettes d’emplois.

La plupart des départements présentant d’importants volumes de créations d’emplois entre le deuxième trimestre 2022 et le deuxième trimestre 2023 bénéficient du rayonnement d’une métropole régionale comptant plus de 500 000 habitants. Parmi eux, douze de ces 24 départements répondent à ces critères, tandis que six d’entre eux font partie de la région capitale, à l’instar des Hauts-de-Seine. Ce sont donc au total 18 départements sur les 24 qui correspondent à des départements de grandes métropoles (Paris-IDF et métropoles régionales confondues).

En parallèle, les villes moyennes et départements ruraux, qui avaient renversé la tendance à la sortie de la crise sanitaire en générant 44 % des créations nettes d’emplois en France, ont perdu de leur importance (25 % entre le T4 2021 et le T2 2023). Arthur Loyd constate un certain tassement de la dynamique de l’emploi dans les villes moyennes, bourgs et espaces ruraux, qui stagnent désormais, après avoir largement bénéficié de la relance de l’économie française en 2021. Certains territoires se retrouvent avec un solde d’emplois négatif, à l’instar notamment du Gers, du Tarn, des Vosges ou de l’Yonne.

Top 20 des aires d’attraction régionales pour la création nette d’emplois - © Baromètre Arthur Loyd 2024
Top 20 des aires d’attraction régionales pour la création nette d’emplois - © Baromètre Arthur Loyd 2024

« Il serait pour autant réducteur d’opposer les grandes villes aux campagnes sur la trajectoire des créations d’emplois. Certaines grandes villes connaissent un début de ralentissement, quand des espaces ruraux affichent toujours une forte croissance de l’emploi, modère Cevan Torossian, directeur du département Etudes & Recherche d’Arthur Loyd. On constate que la façade Atlantique, et plus largement, des zones côtières, sont toujours animées par un puissant moteur démographique, qui constitue, par ricochet, un levier important de créations d’emplois. Plus largement, les territoires de faible densité semblent bénéficier, plus qu’auparavant, d’un effet de ruissellement redistributif de la reprise économique post-Covid et de ses conséquences sur l’emploi » décrypte-t-il.

Un tiers des emplois créés en Ile-de-France

Le Baromètre Arthur Loyd révèle un phénomène inédit : un sursaut de l’Ile-de-France, à tel point que cette dernière pèse aujourd’hui autant que l’ensemble des métropoles régionales Françaises. En effet, les départements d’IDF ont généré 38 % des 451 710 créations nettes d’emplois enregistrées entre le T4 2021 et le T2 2023, une part égale à l’ensemble des départements hébergeant une grande métropole régionale. Les départements franciliens se positionnent ainsi en tant que moteurs économiques majeurs, générant plus d’un emploi sur trois en France, contre à peine 15 % au cours des deux années de la crise sanitaire (2020-2021).

Créations nettes d’emplois - Paris vs périphérie en % du total en IDF par période - © Baromètre Arthur Loyd 2024
Créations nettes d’emplois - Paris vs périphérie en % du total en IDF par période - © Baromètre Arthur Loyd 2024

Un réel rebond qui s’explique en partie par la reconnexion de la région parisienne à la conjoncture mondiale. Selon Cevan Torossian, « cet effet  »retard à l’allumage«  démontre à quel point Paris IDF est une économie de flux : elle a besoin d’une complète circulation de personnes, qui se déplacent, voyagent (à titre professionnel ou personnel) pour retrouver sa dynamique. Après une sorte de langueur post-Covid observée en 2021, la capitale se réinstalle dans son rôle de cœur battant de la France, irrigué par l’environnement international », résume-t-il.

Au sein même de la région Île-de-France, la dynamique de création d’emplois n’est pas homogène. Paris se distingue de manière significative par rapport aux autres départements franciliens, contribuant à elle seule à la création de plus d’un emploi sur deux en IDF (54 %), soit un total de 48 900 emplois. Une telle concentration n’a jamais été observée au cours des 30 dernières années avance Arthur Loyd.

« C’est comme si cet étalement de l’activité économique qui a caractérisé l’IDF depuis les années 1990 et qui a accompagné l’étalement urbain autour de Paris, avait subitement pris fin, commente Cevan Torossian. Cette forte volonté de recentrage vers Paris vient notamment des entreprises du tertiaire supérieur, désormais à la recherche d’une meilleure qualité de vie au travail : centralité, accessibilité et services de proximité sont devenus une priorité pour attirer les talents. »

Filières « vertes », l’espoir des petites villes

Les investissements dans les filières dites de transition climatique sont un indicateur utile pour avoir une vision de la France de demain, bâtie sur le développement d’une industrie verte. Avec 12,8 milliards d’euros investis au 1er semestre 2023, les capitaux affluent et les projets se multiplient pour accélérer la décarbonation et la transition énergétique du pays.

Si les territoires à taille humaine génèrent moins d’emplois que lors du pic observé l’année dernière, ils ne sont pas en reste, puisqu’ils portent la promesse de la réindustrialisation verte du pays : ils sont le théâtre de 72 % des volumes investis dans les filières industrielles de transition climatique en 2022. Cela signifie que plus de deux tiers des projets portent sur des territoires éloignés des grands pôles urbains. Un chiffre qui continue de s’accroître en 2023, établi à 76 % au premier semestre.

« L’essor des projets industriels liés à l’économie verte offrent l’espoir d’une redistribution des cartes dans le dynamisme des territoires. Les villes petites, moyennes et les territoires ruraux, hier laissées pour compte de la métropolisation, possèdent aujourd’hui le potentiel pour réindustrialiser la France à travers des filières de transition écologique. Ces investissements verts sont un levier majeur de créations d’emplois, à court et moyen terme. Ils portent la promesse de l’émergence de nouveaux territoires industriels », vante Cevan Torossian.

Montants investis dans les filières liées à la transition climatique en 2022 - © Baromètre Arthur Loyd 2024
Montants investis dans les filières liées à la transition climatique en 2022 - © Baromètre Arthur Loyd 2024

En 2022, c’est l’Auvergne-Rhône-Alpes qui arrive pour la première fois en première position des investissements verts. L’AURA occupe la première place sur un top 5 représentant 80 % des montants investis, en compagnie des Hauts de France, du Grand Est, de la Normandie et de l’Occitanie. Au premier trimestre 2023, ce sont les Hauts de France qui dominent avec 7,2 milliards d’euros engagés. Ce dynamisme s’explique principalement par l’officialisation de l’implantation des usines de batterie de Prologium Technology (5,2 milliards d’euros), XTC New Energy Materials et Orano à Dunkerque, mais également 14 projets de plus petit volume (hydrogène, batterie, traitement des déchets et véhicule électrique…).

En résumé, si les villes ont des progrès à faire sur la qualité de vie, elle garde la main sur le marché de l’emploi dans le secteur tertiaire. Néanmoins, sans aller jusqu’à un exode urbain, les territoires moins urbanisés ont une carte à jouer sur le volet démographique grâce au développement de filière d’avenir.