Stratégies

Frank Roubanovitch : « Les entreprises peuvent s’attendre à un triplement du prix de l’électricité »

Par Alexandre Foatelli | Le | Rse

Entre guerre en Ukraine et difficultés du parc nucléaire français, les prix de marché de l’électricité sont promis à une forte inflation pour les prochains mois. Dans ce contexte, les entreprises tertiaires sont, comme les autres agents économiques, dans l’obligation de maîtriser leurs consommations et de chercher comment optimiser leurs factures. Frank Roubanovitch, président du Cleee, l’association de grands consommateurs industriels et tertiaires français d’électricité et de gaz, nous dresse un état des lieux de la situation.

Frank Roubanovitch, président du Cleee. - © Cleee
Frank Roubanovitch, président du Cleee. - © Cleee

Au vu du contexte inflationniste, quelle est l’ampleur de la hausse du prix de l’électricité anticipe le Cleee ?

Pour 2023, il faut s’attendre à peu près à un triplement, au minimum, des prix de l’électricité pour les entreprises. Cette hausse pourrait aller jusqu’à être multiplié par cinq, en fonction de la situation et de la demande.

Une telle hausse est-elle inédite ?

Oui, c’est une situation totalement inédite. Le dernier épisode très significatif de hausse des prix de l’énergie date de la crise de 2008. À l’époque, les prix du marché - qu’il faut bien distinguer du prix que payent les entreprises en bout de chaîne - avait à peu près doublé. Aujourd’hui, ce prix a été multiplié par 20. La hausse actuelle sur le marché est donc dix fois plus importante en ordre de grandeur que la plus grave qu’on ait connu depuis 30 ans.

Il n’est plus temps d’aller vers le moins disant en matière de fourniture d’électricité, mais vers le plus fiable.

Pour schématiser, le prix de l’électricité hors taxe se décompose en trois parties. La première se compose du coût d’acheminement, qui est régulé et ne bouge que très peu. Historiquement, cela représente à peu près un tiers de la facture pour les entreprises. Une autre part correspond à l’Arenh, l’Accès Régulé à l’Electricité Nucléaire Historique, qui représente à peu près un autre tiers. Le troisième est celui qui fluctue selon les prix de marché, et c’est cette part qui va augmenter entre x15 et x20 entre les anciens et les nouveaux contrats. C’est cette part qui entraîne la hausse du prix payé par les entreprises, qui va concerner les entreprises qui doivent renouveler leur contrat d’électricité l’an prochain.

Face à cette situation inédite, que préconise le Cleee aux entreprises tertiaires ?

La première chose à mettre en place, c’est la sobriété énergétique, par exemple en respectant strictement les consignes de baisser la température des bureaux de 2°C, soit à 19°C au maximum. Cela représente une économie d’environ 15 % que ce soit un chauffage à l’électricité ou au gaz, puisque ce dernier a augmenté dans les mêmes proportions. Et outre, les prix sont tirés vers le haut aussi à cause de la crainte d’une pénurie cet hiver. Si les entreprises, comme les particuliers, consomment moins, le spectre de la pénurie s’éloignera dans les prochaines semaines, ce qui aura un impact à la baisse sur les prix de marché. Pour cela, il faut que ce mouvement vers la sobriété soit global et partagé par la majorité des entreprises.

L’autre préconisation majeure à destination des entreprises, c’est que celles devant renouveler leur contrat d’électricité le fassent avant le 31 octobre 2022, afin de pouvoir bénéficier du tarif d’Arenh. Dans le cas contraire, ce tiers sera remplacé par le prix du marché, entraînant un coefficient multiplicateur supérieur à 10 sur la facture d’électricité.

Il faut supprimer l’indexation du prix de l’électricité sur celui du gaz et réformer le marché.

Sur ce point, le Cleee encourage les entreprises à se tourner de préférence vers les gros fournisseurs d’énergie tels que EDF, ou encore Engie ou Total, car le contexte va s’avérer difficilement tenable pour les plus petits acteurs qui risquent la faillite. Pour les plus petites, je recommande vraiment de choisir EDF, puisqu’un projet européen pourrait donner la possibilité aux petites et moyennes entreprises de revenir au tarif réglementé. Trouver un fournisseur sera d’ailleurs un premier défi pour certaines entreprises, car quelques-uns se montrent plus frileux à prendre des nouveaux clients dont ils n’ont pas la garantie qu’ils pourront honorer leurs factures. Il n’est plus temps d’aller vers le moins disant en matière de fourniture d’électricité, mais vers le plus fiable.

L’association mène aussi une activité de lobbying pour faire évoluer les réglementations européennes. Quelles sont les évolutions souhaitables ?

Effectivement, la hausse du prix de l’électricité s’explique bien sûr par la guerre en Ukraine, les difficultés conjoncturelles du parc nucléaire français, mais aussi en grande partie par la règlementation européenne qui indexe le prix de l’électricité sur celui du gaz. Il faut supprimer cette indexation et réformer le marché. Nous allons poursuivre notre combat pour que l’Europe prenne conscience de la gravité du problème et les mesures qu’il faudra dans les toutes prochaines semaines.

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