Cécile Gambier : « À l’AP-HP, le logement est un axe fondamental de notre politique d’attractivité »
En charge d’un patrimoine de plus de 3 millions de mètres carrés et d’une dizaine de projets majeurs en cours, la direction Immobilier & Investissement de l’AP-HP est au cœur des enjeux de transformation de l’institution hospitalière. Sa directrice, Cécile Gambier, expose les défis de d’amélioration des conditions de travail, de financement et de performance énergétique, ainsi que les projets qui susciteront sa curiosité en tant que jurée de la Nuit de l’Immo.

Quel est le périmètre dont vous vous occupez au sein de l’AP-HP ?
L’AP-HP est le premier CHU d’Europe, accueillant chaque année 8,3 millions de patients avec près de 100 000 professionnels au service des patients. Doté de 38 hôpitaux, principalement parisiens et franciliens, le patrimoine de l’AP-HP représente plus de 3,3 millions de mètres carrés, essentiellement dédiés aux fonctions hospitalières. Toutefois, près de 300 000 m² issus de dons, de legs ou d’acquisitions, servent à la valorisation ou à des projets de développement, notamment pour le logement de nos agents.
Il y a donc un parc résidentiel à prendre en compte ?
Oui, il existe un parc de logements, parfois au sein même des hôpitaux, historiquement destiné à des personnels techniques et administratifs. Cependant, face aux difficultés de recrutement et à la flambée des loyers, le logement des agents hospitaliers et devenu un enjeu stratégique pour les établissements de santé. En réponse à ce besoin, l’AP-HP met en œuvre un plan stratégique appelé « 30 leviers pour agir » sur l’attractivité et la fidélisation des agents, avec un fort accent sur les métiers dits en tension, comme les infirmières. Au plus fort de la crise, nous avions perdu jusqu’à 12 % de nos effectifs infirmiers, dont beaucoup ont quitté l’Ile-de-France.
Le logement est ainsi un axe fondamental de la politique mise en place par Nicolas Revel, directeur général de l’AP-HP. Pendant longtemps, le logement n’étant pas considéré comme un sujet stratégique, sa gestion était peu structurée. Mais depuis cinq ans, d’importants efforts ont été faits, avec l’appui financier de l’État et de l’Agence régionale de santé. En raison des difficultés à se loger à Paris, nous avons développé tout un parcours résidentiel.
Nous essayons de capter les agents dès la formation […] en leur proposant des logements meublés à loyers forfaitaires.
Nous essayons de capter les agents dès la formation, via nos instituts infirmiers, en leur proposant des logements meublés à loyers forfaitaires. Ensuite, nous leur proposons un parcours résidentiel, avec différents types de logements selon leur situation. Cela passe par la mobilisation de notre propre parc, mais aussi par le recours au marché, avec des droits de réservation, des conventions partenariales et des sous-locations que nous assurons pour nos agents.
Comment est structurée la direction immobilière ?
Les fonctions immobilières sont présentes à la fois au siège de l’AP-HP et dans chaque groupe hospitalo-universitaire (GHU). Chaque GHU est de taille considérable regroupant entre 1 200 et 4 000 lits. Les équipes immobilières dans les GHU gèrent principalement l’exploitation, la maintenance, la sécurité des bâtiments et des infrastructures hospitalières.
Le siège, lui, porte les fonctions « régaliennes » du propriétaire, acquisitions, cessions, conventions, valorisation du parc, financement des investissements, mais aussi la maîtrise d’ouvrage des projets majeurs. Nous pilotons une dizaine d’opérations de grande envergure, allant de 30 millions d’euros à plus d’un milliard d’euros, avec l’appui de prestataires extérieurs et en collaboration étroite avec les équipes des GHU. Près de 70 personnes œuvrent à ces missions au siège, parmi lesquelles des ingénieurs, des architectes, des gestionnaires d’actifs, des juristes et des directeurs d’hôpitaux.
Nous disposons aussi d’un service de stratégie du logement qui définit la politique logement et co-pilote avec la DRH les modalités d’attribution ; d’un pôle Gestion des risques, énergie et développement durable, qui coordonne les sujets techniques transversaux (incendie, amiante, etc.) et porte les grands contrats d’achats liés à l’énergie ; et d’un pôle dédié au financement et à l’investissement, qui consolide le plan pluriannuel d’investissement, en vérifie la soutenabilité financière et structure les financements.
Enfin, depuis fin 2023, nous avons externalisé la gestion locative, technique et administrative d’une partie de notre parc non hospitalier à un prestataire professionnel (Crédit Agricole Immobilier), tout en gardant en interne la conduite stratégique et le pilotage contractuel de cette gestion.
Justement, quelle est aujourd’hui la stratégie immobilière de l’AP-HP ?
La stratégie immobilière est avant tout au service du projet médical. Il s’agit de moderniser le parc, de le mettre aux normes et de l’adapter à l’évolution rapide des besoins de soins. Cela suppose d’anticiper les besoins médicaux, réglementaires et techniques, tout en planifiant sur le long terme.
La stratégie immobilière est avant tout au service du projet médical.
Un second enjeu réside dans la soutenabilité financière, via des cessions, des emprunts, des subventions et des optimisations budgétaires. Comme toute la filière, nous subissons l’inflation des coûts de construction et des évolutions réglementaires. Nous devons donc travailler en amont avec les collectivités et l’État pour anticiper ces contraintes.
Le secteur privé peut-il être un levier de financement ?
Nous avons la fondation AP-HP qui peut lever des dons et du mécénat pour des projets spécifiques et des équipes, notamment autour de l’enfance. Mais cela reste marginal. Nous dépendons principalement des fonds publics.
Notre stratégie d’investissement se conçoit sur dix ans. Nous prévoyons des cessions foncières à la suite de libération et de regroupements hospitaliers, tandis que certains projets peuvent être soutenus par des subventions, sous condition d’apporter une réponse juste aux besoins de santé du territoire et du respect d’indicateurs de performance.
Quels sont les projets les plus emblématiques en cours ?
On peut citer d’abord le projet du campus hospitalo-universitaire de Saint-Ouen Grand Paris Nord, qui consiste à regrouper sur un nouveau site deux hôpitaux devenus vétustes : Bichat et Beaujon. Ces établissements de médecine, chirurgie, obstétrique sont confrontés à d’importants problèmes de mise en conformité qui ne peuvent se résoudre qu’avec des travaux trop conséquents d’un point de vue financier et du maintien de l’activité. Le projet a eu plusieurs vies depuis dix ans, avec notamment une augmentation du nombre de lits d’hospitalisation initialement prévus, décidée à la suite de la pandémie de Covid-19. Nous avons acheté l’ancienne usine PSA située à Saint-Ouen, dont la démolition est terminée. Nous avons sélectionné l’équipe de maîtrise d’œuvre de renommée internationale Renzo Piano et Brunet Saunier. Les travaux devraient démarrer en 2026 pour une livraison d’ici cinq ans.
Un des autres grands projets que nous pilotons, c’est la transformation de l’Hôtel-Dieu, en plein cœur de Paris. Il accueillera une activité hospitalière axée sur la santé publique et la prévention, ainsi que des activités dédiées à la psychiatrie. Sur les dernières années, nous avons été contraints de fermer des services et transférer des activités du fait de l‘inadaptation du lieu à certaines prises en charge médicales. Afin de participer au financement de l’opération, nous valorisons 20 000 m² via un bail de longue durée (80 ans) à Novaxia, dont le projet inclut du logement solidaire, un incubateur de startups de la Medtech, des équipements publics (crèches) et, pour rendre l’opération économiquement viable, quelques commerces et une offre de restauration. Un musée dédié à Notre-Dame de Paris viendra également prendre place au sein du futur Hôtel-Dieu restructuré. Nous travaillons conjointement avec les services de l’Etat à une mise en compatibilité des règles d’urbanisme pour qu’elles rendent cette mixité d’usage possible.
Comment abordez-vous l’enjeu de la transition énergétique ?
C’est un défi majeur. Sur les projets neufs ou restructurés, nous atteignons des niveaux d’ambition très élevés. Mais la vraie difficulté concerne le parc existant. Beaucoup de nos bâtiments sont anciens, inscrits ou classés, et peu adaptés à des travaux d’isolation. Les coûts sont élevés et les travaux très perturbants pour le maintien de l’activité médicale.
Le besoin pour adapter nos bâtiments anciens à la transition énergétique est estimé à plus de 500 millions d’euros.
Nous avons lancé des audits énergétiques et un schéma directeur énergétique pour identifier les actions prioritaires. Mais nous savons que nous ne pourrons pas atteindre les objectifs fixés par le décret tertiaire dans les délais. Le besoin est estimé à plus de 500 millions d’euros, et certaines interventions ne sont tout simplement pas faisables sans arrêt d’activité.
Comment les projets menés contribuent-ils à l’amélioration des conditions de travail ?
C’est un axe fort. Il y a des enveloppes spécifiques pour améliorer les conditions de travail des soignants et la qualité des soins rendus. Nous menons des rénovations ciblées, mettons l’accent sur l’accessibilité, modernisons les équipements. Les équipes pilotent certains projets locaux.
Nous avons également relocalisé notre siège sur le site de Saint-Antoine, avec un bâtiment moderne, lumineux, ouvert, qui a totalement changé nos modes de travail. Cela a aussi permis de développer le télétravail pour les fonctions tertiaires.
Vous serez membre du jury de la Nuit de l’Immo. Quels types de projets retiendront particulièrement votre attention ?
Je serai très attentive à l’évolutivité des projets. Les besoins changent vite et il faut donc des projets capables de s’adapter à plusieurs cycles de vie. L’adaptabilité est essentielle. Et bien sûr, toutes les solutions permettant d’améliorer les performances énergétiques sans grands travaux seront aussi très intéressantes pour nous. Nous sommes en demande de solutions pragmatiques, compatibles avec les fortes contraintes de nos bâtiments hospitaliers.
Cécile Gambier fait partie du jury de la Nuit de l’Immo 2025. Pour avoir l’opportunité de la rencontrer et d’échanger avec elle, inscrivez-vous dès maintenant au Gala du 30 juin au Pré Catelan !