Portrait de Jean-Claude Bassien, pessimiste heureux
Par Alexandre Foatelli | Le | Immobilier
Cet article est référencé dans notre dossier : A la rencontre de…
Le CV de Jean-Claude Bassien illustre un parcours couronné de succès et recèle une petite particularité. Broker, propriétaire de théâtre, directeur général délégué en charge des services pour le compte d’un promoteur…un cheminement au cours duquel l’homme n’a eu de cesse de croire en la force du collectif - du duo particulièrement - et dans la capacité de projection vers l’avenir des entreprises et de leurs dirigeants. Portrait.
Echanger avec Jean-Claude Bassien est un moment agréable. L’homme choisit ses mots, les appuie d’un sourire franc. Son regard balaye de temps à autre le paysage parisien pluvieux qui lui fait face dans la salle du comex de Nexity. Peut-être ce goût pour le phrasé et cette prestance scénique lui viennent de son amour conjugué pour la littérature et le théâtre, héritage de l’éducation de ses grands-parents. « C’est mon grand-père qui m’a fait aimer la littérature en me lisant du Molière, glisse l’intéressé. Au théâtre, ce qui me fascine, c’est la mise en abyme des acteurs ». L’attrait pour les planches a d’ailleurs constitué une parenthèse dans la carrière professionnelle de cet enfant de la Guadeloupe. Une carrière tournée vers le brokerage et la finance, avec en point d’orgue le codéveloppement de la plateforme de services aux entreprises de Nexity.
Quête de sens
Pour dépasser l’horizon de l’appartement au rez-de-chaussée du bâtiment CD de la cité HLM Bergevin à Pointe-à-Pitre, les grands-parents de Jean-Claude Bassien érigent la réussite scolaire comme unique chemin possible. N’oubliant pas ses racines, il encourage aujourd’hui des initiatives aidant les étudiants ultramarins à bénéficier d’un logement en métropole par le biais de Studéa, l’offre de résidences et de logements étudiants de Nexity. Pour sa part, il sort diplômé de Sciences Po. Au début de la décennie 1990, le jeune homme fait son entrée au sein de la société de Bourse Cheuvreux de Virieu. En ce temps-là, cette société conseille des investisseurs institutionnels désireux d’acheter des actions d’entreprises tricolores cotées à la Bourse de Paris. À une époque précédant Maastricht où l’euro semble encore loin - « j’ai l’impression d’être un dinosaure » s’amuse Jean-Claude Bassien - le dirigeant historique de l’entité, Raphael Kanza, a une conviction : l’Europe et sa monnaie unique seront très prochainement une réalité. Dès lors, son ambition est de devenir un acteur global à l’échelle continentale, à l’instar des brokers anglo-saxons tels Goldman Sachs et autres Merrill Lynch. Pour y parvenir, le directeur général de Cheuvreux s’entoure de quelques jeunes talents, « dont moi, visiblement », remarque humblement Jean-Claude Bassien. Leur mission sera de donner corps et sens à cette vision de développement.
Il faut s’intéresser à la vie économique pour analyser le potentiel d’évolution des titres cotés en bourse
Une stratégie payante, puisque Cheuvreux de Virieu « est passé du petit broker français de 100 collaborateurs au 10e broker européen, regroupant près de 1 000 personnes dans une dizaine de pays », rappelle celui qui passe 20 ans à œuvrer à ce succès. Dans ce laps de temps, Cheuvreux passe dans les mains de la banque Indosuez, elle-même rachetée par le Crédit Agricole. Jean-Claude Bassien prend du galon au gré de la croissance de l’entreprise, intégrant le comex d’Indosuez pour diriger les métiers Actions en Europe. « J’étais dans mon domaine d’expertise. Il faut s’intéresser à la vie économique pour analyser le potentiel d’évolution des titres cotés en bourse, et regarder de près la stratégie des entreprises et la qualité de leurs dirigeants, souligne-t-il. Au Comex de la banque Indosuez, mon rôle était de trouver des manières de servir des clients ayant des besoins de financement. Il y avait pour moi une continuité qui faisait sens. »
La crise des subprimes aura l’effet d’un déclic. Parce qu’il a eu à gérer cette mauvaise passe pour le compte de la banque passée entièrement sous pavillon du Crédit Agricole. « On m’a confié la tâche de nettoyer les bilans de trading car j’étais supposé être l’un des managers les plus expérimentés sur le sujet, mais j’ai considéré que cela marquait la fin de mon histoire avec l’entreprise. J’étais trop loin de mes bases, trop loin de mes convictions », explique Jean-Claude Bassien. Au tournant de la cinquantaine, il s’interroge. Faire la même chose ailleurs ? « J’ai eu des propositions, je les ai refusées. » Monter sa boîte d’investissement ? « J’ai eu la tentation, c’était facile car j’avais le carnet d’adresses, mais… je n’avais pas ce désir », lâche-t-il dans un soupir. C’est son jardin secret, la culture, plus particulièrement le théâtre, qui le rattrape à ce moment-là.
Parenthèse sur les planches
Cet amour pour le 6e art, Jean-Claude Bassien l’exprime par une fascination. « J’aime cette mécanique humaine du spectacle vivant avec des acteurs en direct, qui fait que la même pièce jouée le lendemain ne sera pas tout à fait semblable et ne sera pas perçue de la même façon ». Il confesse une admiration pour des auteurs mal compris comme Feydeau, qu’il décrit comme « le plus grand auteur comique français de tous les temps » et « l’inventeur du théâtre de l’absurde ». C’est ainsi que notre banquier monte une société de production et de diffusion, et s’offre, avec deux associés, le théâtre de l’Atelier à Paris.
J’aime cette mécanique humaine du spectacle vivant […] qui fait que la même pièce jouée le lendemain ne sera pas tout à fait semblable
Jean-Claude Bassien arrive sur la scène avec l’ambition de dépoussiérer à son échelle l’image d’une activité culturelle qui ne vend « que » un million de tickets par an et dont la moyenne d’âge du public est supérieure à 60 ans. Sa « plus grande fierté dans le théâtre » reste d’avoir fait monter Joeystarr sur scène pour déclamer les grands discours de la République, devant une salle pleine de jeunes néophytes. Cette parenthèse de deux ans et demi se termine peu avant que Jean-Claude Bassien ne recroise la route d’Alain Dinin, le président de Nexity.
Back to business
Dans sa précédente vie de broker, il avait croisé le chemin de Nexity et d’Alain Dinin au moment de son introduction en Bourse, en 2004. « Cette opération pouvait laisser sceptique, car le segment immobilier en Bourse n’était pas encore très développé. Pour réussir la cotation, il avait fallu s’appuyer sur la vision incarnée par Alain Dinin, président du Directoire à l’époque », se remémore Jean-Claude Bassien. Les deux hommes se retrouvent des années plus tard, au moment où le PDG du promoteur souhaite accélérer la stratégie de plateforme de services aux entreprises. Ce dernier cherche à adjoindre un fin connaisseur du monde de l’entreprise à celle qui dirige alors « Nexity Solutions Entreprises » : Véronique Bédague.
C’est presque naturel pour moi de travailler à deux, la complémentarité fait la force
« C’est un coup de foudre professionnel », déclare Jean-Claude Bassien au sujet de celle devenue directrice générale de l’entreprise. Se trouvant des points communs dès leur premier entretien, le désir de comprendre avant d’agir, ainsi qu’une propension à se tromper d’adresse aux entretiens d’embauche, la directrice et son directeur adjoint font grandir la plateforme de services de Nexity. Au sein de la structure, Jean-Claude Bassien retrouve des fondamentaux qu’il avait apprécié à ses débuts. D’abord, le fait de travailler en binôme, comme à l’époque de Cheuvreux aux côtés de François Simon. « C’est presque naturel pour moi de travailler à deux, la complémentarité fait la force », revendique celui qui ne croit pas aux « équipes de stars ». La capacité de projection de l’entreprise, la recherche de performance utile aussi : « se contenter de son succès, c’est le déclin assuré », prévient le directeur général délégué. Un ancrage dans le réel, enfin. « Quand je visite un site, je veux d’abord aller à la rencontre des utilisateurs, pour connaître leur ressenti, leurs besoins. C’est grâce à cette connaissance de terrain que nous pouvons développer des solutions pertinentes. » Un sens aigu du besoin du client pour lequel Jean-Claude Bassien s’impose de toujours « distinguer le principal de l’accessoire », credo de son mentor Raphaël Kanza.
Après avoir développé et structuré l’offre de services de concert avec Véronique Bédague, celui qui est désormais directeur général délégué de Nexity se doit d’accompagner au mieux les entreprises dans leur stratégie immobilière, afin que les espaces de travail qu’elles proposent répondent aux besoins et enjeux du moment. Le groupe mène aussi cette réflexion sur les nouveaux modes de vie qui conduisent à adapter les futurs logements au télétravail ou encore à lancer une offre de coworking de proximité. Pour mieux appréhender les conséquences de l’évolution du monde, Jean-Claude Bassien apprécie de mettre à profit des moments d’évasion, en savourant quelques volutes de cigare (« cubain, évidemment ! »), afin de trouver les moyens de résister au courant décliniste d’une époque aussi grise que le ciel parisien le jour de notre entretien. Car comme l’exprime sa chanson favorite d’Alain Bashung Comme un Lego, « Voyez-vous tous ces humains ? Danser ensemble à se donner la main ». La capacité humaine à dépasser collectivement la somme des égoïsmes lui permet de croire que, malgré tout, le meilleur est toujours possible et de se définir spontanément comme un « pessimiste heureux ».