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Rupture, mal-être… l’Institut Montaigne enquête sur le rapport des Français au travail

Par Alexandre Foatelli | Le | Modes de travail

En complément du chapelet de sondages et d’études au sujet du rapport au travail des Français, l’Institut Montaigne a mené sa propre enquête auprès de 5 000 actifs. Celle-ci a permis d’approfondir plusieurs thématiques, dont la satisfaction des salariés, le temps de travail ou la mobilité professionnelle.

L’Institut Montaigne a interrogé 5 000 salariés français au sujet de leur rapport au travail. - © Getty Images/iStockphoto
L’Institut Montaigne a interrogé 5 000 salariés français au sujet de leur rapport au travail. - © Getty Images/iStockphoto

Entre généralisation du télétravail et nouvelles aspirations professionnelles, les deux dernières années ont eu un impact conséquent sur les salariés français. Ainsi, moults sondages et études, ont pu tirer la conclusion que « rien ne serait jamais plus comme avant », que nous traverserions une période de « grande démission » et de « perte de sens » face au travail.

L’Institut Montaigne a souhaité apporter sa contribution à la réflexion, afin de questionner la concrétude de la rupture individuelle des Français avec leur travail et d’identifier les composantes du mal-être des salariés. Pour cela, le think tank a interrogé un vaste échantillon (5 001 répondants) représentatif des actifs en emploi, en support de l’utilisation de données antérieures à la crise sanitaire afin d’analyser et de comprendre les évolutions post-covid et des méthodes statistiques qui utilisent des données individuelles, et non pas quelques tris simples, pour produire des analyses plus fines. Au total, cinq thématiques ont été explorées : la satisfaction au travail, le temps de travail, le télétravail, le rapport à la fin de carrière et à la retraite et le rapport à la mobilité professionnelle.

Satisfaction au travail : statu quo

D’après le panel interrogé, les Français sont majoritairement satisfaits de leur travail. Ils sont 77 % a attribué une note supérieure ou égale à 6/10 à la question « à quel niveau évaluez-vous votre satisfaction lorsque vous pensez à votre travail aujourd’hui ? ». Un chiffre qui ne marque pas de rupture claire post-Covid par rapport à plusieurs études antérieures depuis 2033, sélectionnées par l’Institut Montaigne.

Avoir des perspectives de carrière, être reconnu dans son travail, avoir de bonnes relations avec le manager et la possibilité de télétravailler sont des facteurs décisifs dans la satisfaction au travail.

L’étude statistique approfondie montre que les caractéristiques « classiques », tels que l’âge, le sexe, la taille de l’entreprise, le secteur d’activité ou le type de contrat (CDD ou CDI) ne sont pas déterminantes dans l’expression du degré de satisfaction. D’autres critères, plus subjectifs, paraissent bien plus décisifs : avoir des perspectives de carrière, être reconnu dans son travail, avoir de bonnes relations avec le manager et avoir la possibilité de télétravailler sont des facteurs décisifs dans la satisfaction au travail.

Quant aux trois principaux facteurs d’insatisfaction, ils restent inchangés par rapport à l’avant-crise sanitaire : le niveau de rémunération (pour 46 % des salariés), l’absence de perspectives de carrières (41 %) et le manque de reconnaissance (38 %). Cependant, une nouvelle source d’insatisfaction a fait son apparition : l’impossibilité de pratiquer le télétravail.  

Le télétravail, point de rupture

L’essor du télétravail est, d’après l’étude de l’Institut, la seule véritable rupture par rapport à l’avant-Covid. Sans conteste, le développement de ce mode a été spectaculaire : 40 % des travailleurs pratiquent le télétravail au moins occasionnellement, et 33 % régulièrement (au moins un jour par semaine), contre seulement 7 % avant la crise sanitaire. De même, le nombre moyen de jours télétravaillés pour les télétravailleurs réguliers serait passé de 2,2 à 2,7 jours par semaine environ. Cependant, tous les actifs ne sont pas égaux devant la possibilité de télétravailler. Ainsi, si 48 % des emplois sont « télétravaillaibles » selon les sondés, les disparités entre métiers et secteurs économiques sont considérables.

L’étude met en exergue le rôle essentiel du mal-être vis-à-vis du management dans l’insatisfaction au travail.

Le télétravail est très largement plébiscité sous toutes ses dimensions : autonomie, vie professionnelle, vie familiale, efficacité du travail… En revanche, les opinions sont majoritairement négatives en ce qui concerne la qualité des interactions sociales. En outre, le télétravail ne semble pas avoir d’impact significatif sur le temps de travail effectif, contrairement à la perception exprimée par une minorité des salariés eux-mêmes. Certes, une forte minorité de salariés télétravailleurs estime que ce mode accroît leur temps de travail (contre une proportion plus faible qui exprime l’opinion contraire). Mais cet impact ne se retrouve pas statistiquement dans les durées du travail déclarées.

« On peut penser que l’éclatement des horaires de travail et le  »débordement«  du temps de travail sur des plages horaires inhabituelles favorisé par la pratique du télétravail explique cet écart entre le ressenti et le constaté, émettent les auteurs de l’étude. Le télétravail, en lui-même, ne semble provoquer ni une charge de travail excessive, ni une hausse de la charge psychique ressentie, quelle que soit son intensité », concluent-ils. Pour autant, l’Institut Montaigne précise que certaines études récentes alertent sur son impact sur la santé physique et mentale et sur l’absentéisme. « Compte tenu de l’enjeu de cette question pour l’organisation du travail, il semble indispensable d’approfondir le sujet », souligne le think tank.

Une mobilité professionnelle souhaitée, mais contrariée

L’étude confirme l’engouement des travailleurs pour la mobilité professionnelle. Ainsi, une forte proportion des sondés déclare souhaiter évoluer professionnellement, soit en interne dans leur entreprise ou leur organisation, soit en externe. Les souhaits de reconversion (changement de métier et/ou de secteur d’activité) sont également très fréquents. Ces derniers sont le plus souvent déclenchés par l’insatisfaction dans le travail actuel, notamment le manque de perspective de carrière et le mal-être vis-à-vis du management et la charge psychique ressentie. Il s’agit donc rarement de la réaliser une vocation. Parmi les modalités de reconversion professionnelle, l’aspiration à devenir indépendant sans même changer de secteur d’activité est forte, tout particulièrement chez les jeunes. Pourtant, seule une faible minorité, environ 10 %, semble vraiment prête à franchir le pas.

Les données récoltées par l’Institut Montaigne révèle un décalage considérable entre les souhaits exprimés d’évolution professionnelle, quelles que soient ses formes, et la réalité. D’une part, une grande majorité de projets ne se concrétisent pas : par exemple, 22 % des salariés déclarent avoir déjà envisagé une reconversion professionnelle sans l’avoir réalisée.

Pour l’Institut, la Grande démission est un mythe.

D’autre part, on ne constate pas de diminution de l’ancienneté moyenne dans l’emploi occupé au cours des années récentes, ce qui signifie que la mobilité professionnelle ne s’accroît pas en France. Pour l’Institut, la Grande démission qui devrait logiquement résulter de ces souhaits « est un mythe ». Les évolutions législatives, à l’instar de l’introduction de la rupture conventionnelle en 2008, combinées à une situation du marché du travail exceptionnellement favorable aux salariés suffisent à expliquer ce phénomène, « qui n’en n’est pas un ».

Cependant, les obstacles ressentis à la mobilité restent nombreux, tout particulièrement pour les moins qualifiés qui sont en même temps les plus demandeurs. Ainsi, les principaux freins sont liés au risque d’une perte de rémunération, la peur de l’échec et, plus généralement, la peur du changement. Quant à la peur du chômage, elle n’arrive qu’en 5e position, ce qui peut être mise en lien avec l’amélioration générale du marché du travail. D’ailleurs, il ne ressort pas des données que le niveau du taux de chômage enregistré dans le bassin d’emploi influe aujourd’hui significativement sur les velléités d’évolution professionnelle.

Dans ses conclusions, l’Institut Montaigne souligne l’importance de l’enjeu de management en entreprise. En effet, l’étude met en exergue le rôle essentiel du mal-être vis-à-vis du management dans l’insatisfaction au travail. Dans la même optique, elle met également en évidence l’important clivage que porte en lui le télétravail, à la fois facteur d’épanouissement et d’autonomie pour une immense majorité de ceux qui le pratiquent et motif de forte frustration pour une forte proportion des 60 % de travailleurs qui n’y ont pas accès. Face à cela, « le management et les négociations sociales doivent absolument s’adapter à cette nouvelle donne ».