Portrait d’Alain Resplandy-Bernard, capitaine d’équipe
Par Alexandre Foatelli | Le | Immobilier
Juste avant le début de la crise sanitaire en 2020, Alain Resplandy-Bernard a pris la direction de l’immobilier de l’Etat, un mastodonte comptabilisant près de 100 millions de mètres carrés. L’aboutissement d’une riche carrière pour cet énarque, qui a slalomé entre institutions publiques de premier plan et secteur privé, souvent balle au pied. Rencontre.
En entrant dans le bureau d’Alain Resplandy-Bernard, au détour des longs et sombres couloirs de Bercy, on peut remarquer que trône entre deux dossiers un mug aux couleurs de l’équipe de foot du Nîmes Olympique. Ce Nîmois de père supporte les Crocos depuis son enfance, passée cependant en région parisienne. Et il apparaît que le football, et le sport en général, ont tenu une place non négligeable dans le parcours du directeur immobilier de l’Etat.
Compétiteur
Après ses gammes à HEC, c’est avec l’aide des épreuves sportives qu’Alain Resplandy-Bernard entre à l’ENA. Point de football cette fois, il est question de saut en hauteur, de 100 m et de 1 500 m. « Ma performance équivalait à un 14-15/20 en licence Staps sur le 1 500 m », se remémore-t-il. Ce compétiteur dans l’âme intègre la promotion Valmy - aux côtés notamment d’un certain Bruno Le Maire, ministre de l’Economie et des Finances dont il dépend aujourd’hui - de laquelle il sortira avec les honneurs en entrant à la Cour des Comptes.
Une cuvée qui fleure bon l’odeur de vestiaire et le cuir du ballon rond ! « Il existe un moyen de jauger une promo à l’ENA, c’est de regarder l’état dans lequel se trouve le journal L’Equipe à la bibliothèque à la mi-journée : intact comme à la sortie des presses, ou bien en état de délabrement après que plusieurs lecteurs se le soit arraché ! »
Il existe un moyen de jauger une promo à l’ENA, c’est de regarder l’état dans lequel se trouve le journal L’Equipe à la bibliothèque à la mi-journée
La promo Valmy appartient à la seconde catégorie, composant une équipe de foot « pas très bonne », auteure de plusieurs matchs « épiques » et ayant subi pas mal de « roustes » dans les banlieues, reconnaît l’intéressé. Le Gardois d’origine foule les pelouses aux côtés notamment de Cédric Goubet, actuel président de Safran Landing Systems, et David Martinon, ambassadeur de France en Afghanistan depuis 2018. Lorsqu’il intègre la Cour des Comptes, Alain Resplandy-Bernard est affecté à la chambre de la recherche, et il choisit comme second domaine le sport, évidemment. Une double casquette qui le mène à contrôler à la fois le CNRS, l’Inserm et la Fédération française de football (FFF), au sortir de la Coupe du monde 1998.
Esprit d’équipe
Durant son cursus à HEC, il effectue un stage de finance auprès de l’Assistance Publique. Il se trouve alors une vocation pour le management en général, et exercer dans la sphère publique l’intéresse particulièrement. « Ce secteur est plus complexe car le processus de décision est politique et que les comptes de résultats, qui agissent comme des cordes de rappel, n’existent pas », souligne Alain Resplandy-Bernard.
De fait, ce dernier endosse souvent un rôle de capitaine d’équipe dans les différentes institutions et entreprises qu’il fréquente. Dans le fonctionnement collégial de la Cour des Comptes, il se persuade « qu’on est plus intelligent à plusieurs ».
International
Après trois années, il suit la mère de ses trois filles, associée dans un cabinet d’avocats, et part pour New York - six mois avant le 11-Septembre - en tant que commissaire aux comptes de l’ONU. Associé aux auditeurs généraux d’Afrique du Sud et des Philippines, Alain Resplandy-Bernard se consacre à l’audit d’un tiers du système onusien : il combine des missions sur l’Unicef, sur l’opération de maintien de la paix au Kosovo et de relectures des rapports de ses homologues philippin et sud-africain. Durant cette période, il passe en moyenne quatre à cinq mois par an en Afrique et au Kosovo pour une cinquantaine de missions, à auditer, entre autres, des camps de démilitarisation d’enfants soldats à Kinshasa.
À son retour en France en 2004, l’énarque entre au cabinet de Jean-Pierre Raffarin, Premier Ministre de l’époque comme conseiller au sport, au tourisme, à la jeunesse et au logement. Un portefeuille vaste et éclectique qu’il occupe au moment du plan de rénovation urbaine (PNRU) de Jean-Louis Borloo - énième « Plan Marshall » pour les banlieues -, de relance de la construction de logements et de candidature de Paris pour les Jeux Olympiques de 2012. Aujourd’hui, Alain Resplandy-Bernard garde de la sympathie pour Jean-Pierre Raffarin, qu’il décrit comme un patron « très agréable » et disposant d’une véritable « éthique de conviction ».
Alain Resplandy-Bernanrd déclare ne pas avoir de perspectives professionnelles « au-delà du mercredi suivant »
Il tient ce poste jusqu’à la mandature de Dominique de Villepin, qu’il accompagne quelques temps, avant de revenir dans une institution qu’il avait jadis audité, le CNRS, dont il sera le secrétaire général durant quatre ans. « J’avais la charge de l’ensemble des fonctions supports : finance, RH, SI et immobilier, précise Alain Resplandy-Bernard. Il s’agissait de ma première mission de gestion d’un parc immobilier, qui totalisait environ 900 000 m². » Un premier pas sur le terrain de l’immobilier…
Transfert au privé
Au terme de ce cursus dans les hautes sphères des institutions publiques et internationales, Alain Resplandy-Bernard rejoint le privé et signe chez Thales, qui lui propose le poste de vice-président en charge de l’audit et des finances. Mais assez rapidement, c’est l’amour du ballon rond qui le rattrape. « Au moment où on me proposait de prendre une Business Unit, le fiasco de Knysna* est arrivée, entrainant le départ du président et du directeur général de la FFF, raconte-t-il. Le nouveau président par intérim a chassé un nouveau DG, et plusieurs amis m’ont encouragé à candidater. »
Un poste qu’il n’occupera que cinq mois, d’avril à août 2011, le temps que Noël Le Graët accède à la présidence. Malheureusement pour ce fan de football, il ne vit pas la meilleure période qui soit pour diriger la fédération, entre un contexte post-Knysna largement récupéré dans le débat politique, à l’instar de la polémique autour des quotas**, le tout avec en toile de fonds la campagne pour l’élection du futur président de la FFF. Après son brusque départ, Alain Resplandy-Bernard refait un passage à la Cour des Comptes.
Malheureusement pour ce fan de football, il ne vit pas la meilleure période qui soit pour diriger la FFF
Il retrouve le secteur privé en 2015 en devenant directeur général délégué puis PDG par intérim du PMU. « À l’époque, nous étions le cinquième acteur du e-commerce français en termes de chiffre d’affaires et nous avions un important axe de développement à l’international », souligne-t-il. À l’issue de « divergences stratégiques avec les actionnaires », Alain Resplandy-Bernard quitte le groupe en 2018, lorsque Bertrand Méheut en devient le président. Il fait son retour à la Cour des Comptes, avant de se voir confier la direction immobilière de l’Etat (DIE) et de ses 94 millions de mètres carrés en février 2020. Cette institution née en 2016, héritière de France domaine, a pour but de faire émerger le rôle de l’Etat propriétaire, à l’opposé de l’Etat occupant.
Conviction immobilière
À la tête de la DIE, Alain Resplandy-Bernard est le gestionnaire des actifs immobiliers de l’Etat : les grandes décisions d’entrées ou de sorties, de construction ou d’acquisition sont de son ressort. En parallèle, il anime l’ensemble des fonctions immobilières des ministères et des opérateurs publics importants et valide les schémas stratégiques de chacun. « Je travaille de concert avec les gestionnaires property et facility management sur les sujets de transition énergétique, le numérique, la mise en place du BIM ou encore la gestion du désamiantage », décrit-il.
J’ai réalisé qu’il existe une articulation entre le projet d’entreprise et son bâti. Dès lors, je ne crois plus à l’immobilier banalisé
Ainsi, après avoir touché du doigt des sujets immobilières au gré de son parcours, Alain Resplandy-Bernard s’y consacre entièrement. Au CNRS, il avait été confronté à l’une des problématiques de l’Etat : le sous-entretien du parc qui conduit à des surinvestissements pour des immeubles neufs. Durant son passage au PMU, il avait pris conscience du rôle de l’immobilier dans l’efficacité des collaborateurs. « L’entreprise est l’une des premières à avoir adopté une gestion agile de ses espaces de travail, et il fallait pour cela que l’immobilier permette une mise en place efficace de ce système », indique-t-il. Cette préoccupation était sienne, alors que le PMU se dotait d’un nouveau siège social sous sa direction. « J’ai réalisé qu’il existe une articulation entre le projet d’entreprise et son bâti. Dès lors, je ne crois plus à l’immobilier banalisé : chaque immeuble doit coller à la culture de l’entreprise et aux besoins des métiers qui s’y exercent. »
Ayant la charge d’un parc immobilier aussi vaste que diversifié, comprenant des bâtiments classés, Alain Resplandy-Bernard se passionne pour la recherche de l’équilibre entre sauvegarde d’un patrimoine symbolique et modernisation du bâti pour donner des outils efficaces à toutes les administrations publiques. Au chapitre de ses fiertés, le directeur immobilier de l’Etat cite l’action menée dans le cadre du Plan de Relance. À l’été 2020, Bruno Le Maire a annoncé l’allocation de 2,7 milliards d’euros à la rénovation énergétique des bâtiments de l’Etat, avec pour objectif notamment de nourrir le carnet de commandes des entreprises du BTP. « Notre contrainte a donc été que tous les marchés de travaux soient notifiés avant le 31 décembre 2021, met en avant Alain Resplandy-Bernard. Nous avons organisé une compétition pour sélectionner tous les projets à partir du 9 septembre 2020. Sur 8,4 milliards d’euros de projets proposés, nous avons sélectionné environ 4 200 projets dans l’enveloppe des 2,7 milliards mi-décembre. Dès lors, la DIE avait un an pour finaliser tous les programmes et notifier l’ensemble des 17 000 marchés de travaux », raconte le directeur immobilier. Le tout en affichant un objectif annoncé à mi-parcours de 600 gWh d’économie d’énergie, au-delà des ambitions initiales de 400 à 500 gWh.
Quand il ne gère pas les millions de mètres carrés de patrimoine de l’Etat, Alain Resplandy-Bernard garde un ancrage sur des problématiques très locales en occupant le rôle de conseiller municipal à Flée, un bourg de 400 âmes dans la Sarthe, sa seconde ascendance. Une région où il retape d’ailleurs une vieille maison familiale, trahissant son goût pour les vieilles pierres, en écoutant les riffs de Bruce Springteen et Eric Clapton qu’il affectionne. Au terme d’un parcours riche et diversifié, Alain Resplandy-Bernanrd déclare ne pas avoir de perspectives professionnelles « au-delà du mercredi suivant », le directeur d’une administration centrale pouvant être révoqué à n’importe quel conseil des ministres. En somme, il « prend les matchs les uns après les autres » comme le répètent sempiternellement les footballeurs.
*Le fiasco de Knysna, du nom du camp de base de l’équipe de France, fait référence à la grève des Bleus en pleine Coupe du monde 2010 en Afrique du Sud, à la suite de l’exclusion de Nicolas Anelka. L’affaire avait provoqué un vif débat dans l’opinion publique, après qu’il ait été commenté notamment par des membres du Gouvernement à l’Assemblée nationale.
** En novembre 2010, Mediapart révèle que le directeur technique national se dit « tout à fait favorable » au projet de « limiter » le nombre de joueurs d’origine étrangère formés en France qui choisissent finalement une autre sélection lors d’une réunion. Laurent Blanc, sélectionneur de l’équipe de France à l’époque, et Erick Mombaerts, celui des Espoirs, ne s’opposent pas à ce projet. Cette fois encore, le débat devient politique dans les semaines qui suivent.