Stratégies

[SYNTHESE] Immostat : la « résilience » du marché de bureau francilien à l’épreuve

Par Alexandre Foatelli | Le | Immobilier

Immostat, le groupement d’intérêt économique réunissant les quatre principaux conseils en immobilier d’entreprise a communiqué ses grands indicateurs du marché de l’immobilier d’entreprise en Ile-de-France. De la demande placée à l’investissement, en passant par l’offre disponible et les loyers, la situation de ce premier semestre 2024 n’est qu’un prolongement des tendances à l’œuvre depuis l’an dernier.

Les chiffres Immostat du premier semestre 2024 sont parus. - © Getty Images/iStockphoto manjik
Les chiffres Immostat du premier semestre 2024 sont parus. - © Getty Images/iStockphoto manjik

Le GIE Immostat, regroupant BNP Paribas Real Estate, CBRE, JLL et Cushman & Wakefield, a rendu ses conclusions au sujet du marché immobilier francilien pour le premier semestre 2024. Si les conseils en immobilier se sont longtemps cramponnés à un optimisme ayant pour alias la « résilience » du marché, louée à chaque trimestre (et qui continue à l’être ici ou là), ces derniers chiffres illustrent la poursuite des tendances inéluctables : demande et investissements en baisse, polarisation accrue entre quartiers centraux et périphéries et une manne de mètres carrés sans preneur tutoyant la barre des 5 millions.

Nouvelle baisse de la demande placée

Au premier semestre 2024, la demande placée de bureaux en Ile-de-France s’élève à 853 300 m² (chiffres obtenus avec la contribution d’Evolis), soit une baisse de 5 % par rapport au premier semestre 2023. Alors que les trois premiers mois de l’année s’annonçaient dans la continuité de 2023, le marché locatif francilien connaît un ralentissement observé plus particulièrement sur les mois de mai et juin avec des baisses de l’ordre de 13 % d’un mois sur l’autre. Ainsi, le deuxième trimestre totalise 408 700 m² s’inscrivant ainsi en baisse de 9 % par rapport au même stade l’année précédente. Signe de l’ampleur de la situation, ce niveau de la demande placée sur le premier semestre 2024 est inférieur de 18 % à la moyenne décennale.

« La tendance qui s’observe depuis le début de l’année est plus souvent aux déménagements qu’aux renégociations de baux, contrairement à 2023 ; le décret tertiaire, l’arrivée de la taxe carbone d’ici 1 an ou 2, ou les politiques RSE des entreprises les poussent à se positionner sur des immeubles verts », observe Marie Martins, directeur Tenant Representation France chez JLL.

En regardant le marché par segment, les conseils notent que les surfaces intermédiaires (comprises entre 1 000 et 5 000 m²) ainsi que les grandes surfaces (supérieures à 5 000 m²) réussissent à se maintenir d’une année sur l’autre en volume (respectivement 264 000 et 280 000 m²), alors que les PMS (moins de 1 000 m²) sont en retrait de 13 % avec 309 000 m² placés. Ces chiffres restent cependant bien inférieurs à leur moyenne décennale (entre -14 et -25 % selon les segments). En nombre, si les PMS affichent également une baisse sur un an (-7 % pour 1 260 transactions), les grandes surfaces se maintiennent (24 transactions), alors que les surfaces intermédiaires sont en hausse de 6 % avec 141 transactions.

Géographiquement, la Première Couronne Nord et Paris hors QCA se démarquent des autres pôles tertiaires avec respectivement 89 700 m² (+102 % sur un an) et 270 400 m² (+64 % sur un an) placés à la fin du premier semestre. Les marchés de La Défense et Neuilly/Levallois affichent également des performances positives sur un an avec respectivement 68 000 m² et 42 000 m² placés. À l’inverse, les secteurs plus périphériques tels que la Première Couronne Est et la deuxième couronne francilienne connaissent des baisses significatives de l’ordre de 40 % sur un an. Enfin, le marché du Quartier Central des Affaires de Paris, après un très fort dynamisme depuis la crise sanitaire, ralentit à mi-année (-27 % sur un an). « Le secteur est contraint par une offre faible et des loyers qui deviennent dissuasifs pour bon nombre d’entreprises ; certaines se reportent notamment sur Paris Centre Ouest (hors QCA) où les valeurs sont plus attractives », explique Yannis De Francesco, directeur exécutif Agence Bureaux France chez JLL.

L’offre immédiate de bureaux croit de 11 %

Au 30 juin 2024, l’offre immédiate de bureaux en Ile-de-France s’établit à 4 983 000 m², en hausse de 11 % par rapport à son niveau un an auparavant et de 2 % d’un trimestre à l’autre. Concernant le taux de vacance régional, il atteint le seuil historique des 9 % et devrait continuer d’augmenter dans les mois à venir puisque près de 957 000 m² ̶ dont près de la moitié sont toujours disponibles à la commercialisation ̶ devraient encore être livrés sur la seconde partie de l’année. La Première Couronne (+22 % en un an) concentre l’essentiel des disponibilités (29 %) avec près de 1,5 million de mètres carrés disponibles à la commercialisation dont 812 000 m² dans le Nord. La hausse du stock du Croissant Ouest commence à ralentir (+2 % en un an), bien que celui-ci propose toujours un peu plus de 1,2 million de mètres carrés vacants, soit près d’un quart des disponibilités à l’échelle francilienne, dont 684 000 m² sur le seul secteur Péri-Défense. À Paris (+28 % sur un an), l’offre totalise désormais 810 000 m². Le Quartier Central des Affaires voit son offre augmenter de 14 % sur un an, pour un taux de vacance établi à 2,6 %. Enfin, à La Défense, l’offre immédiatement disponible, en baisse continue depuis le pic atteint fin 2022 (574 000 m²), est légèrement remontée ce trimestre pour représenter 538 000 m² fin juin 2024, pour un taux de vacance de 14,6 %.

« Avec une offre immédiate disponible qui continue d’augmenter, les écarts de loyers entre les différents secteurs tertiaires s’accentuent. Dans Paris, qui fait face à un léger desserrement des contraintes à l’offre sur ce trimestre avec un taux de vacance en moyenne autour de 4,6 % (+0,4 pt), les loyers moyens commencent à se stabiliser sur certains territoires. En revanche, les loyers prime poursuivent leur tendance haussière, notamment dans Paris Centre Ouest. Parallèlement, en périphérie, les pressions baissières dans certains secteurs sur-offreurs sont de plus en plus fortes (La Défense, Péri-Défense…) », commente Alexandre Fontaine, Executive Director Bureaux IDF chez CBRE.

Concernant les valeurs locatives justement, le loyer facial des bureaux atteint en moyenne 441 € HT HC/m²/an pour les biens de seconde main ̶ soit une hausse de 3 % sur un an et 429 € HT HC/m²/an pour les biens neufs ou restructurés ̶ soit une baisse de 1 % sur un an. Les loyers de seconde main n’ont jamais été aussi élevées dans la très grande majorité des secteurs parisiens, la valeur moyenne du QCA atteignant même 740 € (+6 % par rapport à fin 2023). Sur les marchés de périphérie, les valeurs sont plutôt orientées à la baisse, exception faite de Neuilly/Levallois (495 €), marché de report naturel pour les entreprises ne pouvant plus se permettre des valeurs parisiennes. Du côté du loyer prime, Paris QCA se maintient au seuil des 1 000 €/m²/an.

L’investissement en chute libre

D’après les chiffres d’Immostat, le montant global des investissements en immobilier d’entreprise en France au premier semestre 2024 atteint 4,1 milliards d’euros, soit une baisse de 39 % par rapport au premier semestre 2023. Le deuxième trimestre 2024 s’inscrit en baisse de 29 % par rapport au même trimestre 2023, en atteignant 2,1 milliards d’euros. Plus particulièrement en Ile-de-France, le montant global des investissements en immobilier d’entreprise au premier semestre 2024 atteint 1,9 milliard d’euros, soit une baisse de 57 % par rapport au premier semestre 2023 (4,5 milliards d’euros) et 73 % de moins que la moyenne décennale (7,3 milliards d’euros). Le deuxième trimestre 2024 s’inscrit en baisse de 49 % par rapport au 2T 2023 en atteignant 1 milliard d’euros. Le prix moyen des bureaux achetés en Ile-de-France au cours des trois derniers mois, tous types confondus, s’élève à 5 800 €/m² (droits inclus) ce qui représente une baisse de 23 % sur un an.

Les bureaux, qui n’avaient concentré que 44 % de l’activité au 1T 2024, ont vu leur part de marché progresser au cours des trois derniers mois, notamment grâce à deux transactions de plus de 100 millions d’euros : l’acquisition par Foncière Renaissance du 40, avenue George V et celle par Osae Partners de l’ensemble Opéra Gramont. Les investissements en bureaux, bien qu’en recul de 65 % sur un an, totalisent ainsi 987 millions d’euros sur l’ensemble du premier semestre, soit la moitié des volumes.

Après un premier trimestre marqué par un net avantage pour la Deuxième Couronne, le Quartier Central des Affaires a retrouvé sa première place, concentrant 41 % des investissements du semestre. Il est suivi de la Deuxième Couronne (25 %) et du Croissant Ouest (13 %), qui a bénéficié de plusieurs transactions sur des immeubles de bureaux, mais également d’une opération d’envergure sur des locaux industriels. Enfin, les investisseurs étrangers ont été moins actifs à l’acquisition ce trimestre, avec une part de marché de seulement 22 %. Ils l’ont été davantage côté arbitrages, avec notamment plusieurs cessions opérées par des fonds allemands.

« On relève un surcroît d’activité à la vente de la part d’investisseurs allemands. Si la recherche de liquidité est la motivation principale de ces décisions d’arbitrages, certains de ces acteurs sont clairement dans une logique d’anticipation quand d’autres sont en réaction », commente Stephan von Barczy, directeur du Département Investissement de JLL.

« À plus long terme, la pierre reste toujours un placement relativement résilient et peut tirer son épingle du jeu en période de troubles. Par ailleurs, une certaine reprise du marché de l’investissement chez nos voisins européens comme les Pays-Bas, l’Allemagne, l’Italie (qui affichent des tendances annuelles en hausse) rappelle que l’immobilier reste un secteur doté d’une attractivité intrinsèque, sous condition d’une prime de risque satisfaisante, permettant alors aux vendeurs et acheteurs de s’aligner sur les prix », pointe pour sa part Nicolas Verdillon, Managing Director Investments Properties chez CBRE.

Les conseils veulent croire à un sursaut au second semestre

À la lumière de ces données, Éric Siesse considère que « ces résultats d’ensemble à mi-année témoignent une nouvelle fois de la bonne résilience du marché francilien, mais également du désir de centralité exprimé par de nombreux utilisateurs de bureaux. Le retour au bureau affiché dans la presse par certaines entreprises et confirmé par notre dernière enquête utilisateurs pourrait être un nouveau relai de croissance au cours des prochains mois », anticipe le directeur général adjoint en charge du pôle Bureaux Location Île-de-France de BNP Paribas Real Estate Transaction France.

Pour sa part, Alexandre Fontaine analyse que « la demande des grands utilisateurs est là, mais les délais de négociation se sont sensiblement allongés et les projets mettent du temps à se concrétiser. Les reports de signatures permettront néanmoins d’alimenter l’activité > 5 000 m² sur le troisième trimestre, anticipe l’Executive Director Bureaux IDF chez CBRE. Sur l’année 2024, la demande placée des grands utilisateurs devrait être un peu meilleure que 2023, au regard des négociations en cours. Près d’une soixantaine d’opérations > 5 000 m² sont attendues avec un volume légèrement supérieur à celui de 2023 grâce à une reprise des transactions entre 10 000 et 20 000 m². Les stratégies d’optimisation des coûts et de réductions surfaciques vont perdurer, mais semblent néanmoins avoir atteint un point haut. Cette meilleure dynamique du côté des grands projets permettra de compenser en partie des volumes de commercialisations sans doute un peu plus contraints sur le créneau des petites et moyennes surfaces. Des tendances, bien entendu, à confirmer compte tenu des nombreux facteurs d’incertitudes qui pèsent sur le secteur, comme la tenue des Jeux Olympiques ou les éventuels impacts des élections législatives », prévoit-il.

« Le contexte politique actuel de la France avec le changement de gouvernement devrait impacter le marché de bureaux dans les mois à venir avec des mouvements liés au secteur public suspendus aux résultats des élections législatives. On estime autour de 100 000 m² cette perte ou ce décalage de mouvements qui, pour la plupart, auraient pu avoir lieu cette année, pénalisant d’autant plus le marché francilien déjà ralenti en ce début d’année. Nous anticipons dans le meilleur des cas une demande placée sur l’ensemble de l’année comprise entre 1,8 et 1,9 million de mètres carrés », anticipe Yannis De Francesco.

Un niveau qui rapprocherait la performance de 2024 de celle de l’année dernière (1 932 000 m²), et permettra de parler à nouveau de « résilience » du marché francilien.