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Le workplace à l’heure du travail hybride  : work in progress 

Par Alexandre Foatelli | Le | Modes de travail

Cet article est référencé dans notre dossier : Télétravail : où en est-on (à peu près) ?

Depuis qu’un virus a redéfini les frontières des possibles et du socialement acceptable au travail, le workplace est en pleine (r)évolution. Si la mort du bureau n’arrivera de toute évidence pas, il n’en demeure pas moins que l’environnement de travail doit s’adapter aux nouvelles attentes de ceux qui l’animent, dans sa conception comme dans son mode d’administration.

A l’heure du travail hybride, les aménagements de bureaux sont-ils en adéquation avec les usages ?  - © Getty Images/iStockphoto
A l’heure du travail hybride, les aménagements de bureaux sont-ils en adéquation avec les usages ? - © Getty Images/iStockphoto

En mars 2020, la pandémie de Covid a forcé une grande majorité des entreprises du secteur tertiaire à mettre leurs salariés en télétravail plusieurs mois durant. Se faisant, l’appétence de ces derniers pour une organisation du travail hybride, mêlant présence au bureau et home office (ou depuis un tiers-lieu), est devenue incontournable. Dans un second temps, c’est tout le rapport au travail qui a été questionné, menant aux phénomènes de « Grande démission » et autres « Démission silencieuse ». Tout ceci a conduit la plupart des sociétés à faire évoluer leurs environnements de travail, en déménageant ou en repensant leurs bureaux.  

Des postulats erronés 

Comme le souligne Maxime Baffert, fondateur de la marketplace de mobilier de bureau reconditionné et éco-conçu Bluedigo, «  nous ne sommes pas encore parvenus au terme des réflexions sur l’immobilier et les espaces de travail post-Covid  ». Pourtant, beaucoup d’entreprises se sont lancées à corps perdu dans la redéfinition de leurs bureaux, par des travaux ou à la faveur d’un déménagement. Adaptation à l’organisation du travail hybride - rimant quasi systématiquement avec mise en œuvre du flex office -, volonté de donner envie aux salariés de revenir au bureau, tout en cherchant toujours à optimiser les coûts de l’immobilier et de l’exploitation de ces espaces… les enjeux de tous les projets ayant vu le jour ces dernières années présentent une équation complexe.  

Nous ne sommes pas encore parvenus au terme des réflexions sur l’immobilier et les espaces de travail post-Covid.

Cependant, tous ces nouveaux aménagements n’ont pas toujours fonctionné, parce qu’ils reposaient sur des postulats erronés. «  Au départ de la pandémie, on a eu tendance à stigmatiser les usages entre le bureau et la maison, à considérer que l’un était dévolu au travail collaboratif et l’autre aux tâches individuelles, rappelle Karin Gintz, Market Representative Vitra France & Head of Sales Home and Office. Dans la réalité, les collaborateurs n’organisent pas leur semaine en fonction d’une répartition aussi étanche, et les espaces de travail doivent s’adapter pour permettre de passer d’un usage à l’autre.  » Un constat appuyé par Odile Duchenne, consultante pour Actineo : «  même quand on vient au bureau pour du travail collaboratif, il y aura toujours 1 ou 2 heures au moins où un salarié aura besoin de s’isoler pour des tâches individuelles  ».  

En effet, les salariés ne sont pas en mesure de compartimenter strictement leurs tâches entre celles solitaires réservées à des jours définis de télétravail et les moments collaboratifs au bureau. «  Dans la pratique du travail hybride, un bon nombre d’échanges se font à distance, et ces conversations peuvent être sources de nuisances pour ses collègues sur un bench en open space. Il faudrait donc, à contre-courant de ce qui est fait par la majorité des DET, un certain retour vers le cloisonnement, en mettant à disposition des sortes de bulles individuelles ou pour des petits groupes. Sinon, on encourage les salariés à préférer le home office  », déplore Pierre Bouchet, cofondateur de Génie des Lieux. 

Il faudrait, à contre-courant de ce qui est fait par la majorité des DET, un certain retour vers le cloisonnement.

Ainsi, la manière dont les aménagements ont été réalisés post-Covid sont déjà… à revoir. «  Typiquement sur la question des espaces d’isolement et des espaces de réunion, la problématique est encore entière, parce que l’on va trouver beaucoup de salles de réunion de taille intermédiaire avec huit, neuf, dix places, alors qu’en réalité, il n’y a que trois ou quatre personnes présentent au bureau et les autres participants sont en ligne, souligne Diana Naït-Belkacem, consultante senior recherche et prospective chez JLL Work Dynamics. Dans les faits, il serait plus pertinent d’avoir une dizaine de salles de réunion de taille réduite plutôt que trois ou quatre grandes salles. Sur ce point, la réflexion commence et l’aménagement des espaces devra suivre.  » 

Afin d’éviter d’avoir à tout refaire à peine le projet d’aménagement bouclé, il est plus que jamais nécessaire de bien diagnostiquer les besoins des utilisateurs. «  Nous avons besoin d’échanger avec les RH afin de connaître leur politique salariale et d’organisation du travail afin de créer les bons espaces  », souligne Karin Gintz. 

Mètres carrés vides = mètres carrés gâchés 

À défaut de bien réfléchir aux usages et aux besoins réels des utilisateurs, de nombreux projets workplace récents sont voués à devenir prématurément obsolètes dans leur conception. «  Les espaces de travail ne réunissent plus les conditions pour la bonne réalisation du labeur, avance même Delphine Minchella, docteur en sciences de gestion et enseignant-chercheur à l’Ecole de Management de Normandie/Métis Lab. Le télétravail étant plébiscité, le taux d’occupation a chuté drastiquement, entrainant la généralisation du flex office en open space par souci d’optimisation. Or, cela alimente encore plus la volonté de faire du télétravail, car les collaborateurs sont alors soumis à des choses incompatibles avec la bonne réalisation du travail, notamment le bruit ambiant et les discussions qui ne leur sont pas destinées, et qui nuisent à la performance et à la santé  », explique-t-elle. Résultat  : des bureaux toujours plus vides… et donc toujours moins attractifs - quoi de pire que de travailler seul au milieu d’un vaste plateau  ? 

Les espaces de travail ne réunissent plus les conditions pour la bonne réalisation du labeur.

Une situation également néfaste d’un point de vue écologique, comme le souligne Pierre Bouchet.  «  On ne peut plus accepter qu’un immeuble de bureaux soit occupé seulement à hauteur de 50, 40 voire 30 % certains jours du point de vue de l’empreinte carbone et des logiques de sobriété. Cela implique de changer d’échelle sur la rationalisation des surfaces et sur l’ouverture des immeubles de bureaux à d’autres usages. On peut faire des bâtiments bardés de labels et exemplaires sur le plan environnemental, mais le vrai gaspillage, c’est quand ils restent à moitié vides !  » 

Du mobilier durable et flexible pour des lieux sobres 

Pour éviter ce gâchis d’espaces, de matériaux (et donc d’argent), et pour espérer allonger au maximum la durée de vie de leurs aménagements, les entreprises tendent également à flexibiliser leurs installations.

On ne peut plus accepter qu’un immeuble de bureaux soit occupé seulement à hauteur de 50, 40 voire 30 %.

«  On doit désormais pouvoir dans un même lieu accueillir deux ou trois usages différents. Pour cela, les industriels font des meubles polyvalents, flexibles ou sur roulettes… Le mobilier doit devenir le plus hybride possible pour s’adapter à la reconfiguration de l’espace  », indique Odile Duchenne. Par corollaire, cette approche implique que les produits soient durables et bien conçus. Et cela aussi, les industriels l’ont bien compris.

Chez Vitra par exemple, tout est fait pour que le matériel soit le plus durable possible, avec la possibilité de pouvoir remplacer les pièces tout au long de la vie du produit ou encore de déhousser les sofas pour les nettoyer ou les changer. «  Nous avons mis en place Vitra Circle, un concept de magasins d’occasions dans lesquels nous remettons en état les produits de nos partenaires et de nos showrooms en Belgique, aux Pays-Bas et en Allemagne à disposition pour des entreprises clientes ou des particuliers  », met en avant Karin Gintz. La marque a aussi des contrats avec des partenaires tels que Bluedigo, pour faire face aux demandes de plus grande ampleur, afin de de l’aider à sourcer le matériel adéquat. 

«  Les matériaux recyclés et durables, l’écoconception et même la réutilisation sont de plus en plus présents sur le marché. Plus l’usage du mobilier a vocation à s’intensifier, plus ces critères comptent  », estime Odile Duchêne, qui saluent le travail des industriels pour avancer dans cette direction. Ainsi, la seconde main, longtemps quasi inexistante dans les aménagements de bureau, tend à s’imposer dans de plus en plus d’environnement de travail. Au regard des chiffres de Bluedigo, la demande en poste de travail de seconde main est aussi portée par le contexte global qui pousse à une forme de sobriété économique de la part des entreprises, des grands comptes aux PME en passant par les startups. «  Le fait que cette demande s’oriente de façon croissante vers du mobilier reconditionné illustre une tendance à l’optimisation des coûts, car ces postes ne seront pas occupés à plus de 60 ou 80 % au mieux  », souligne Maxime Baffert. 

Une entreprise qui aurait un besoin ponctuel de mobilier sur un projet particulier de plusieurs mois voire de quelques années pourraient très bien le louer.

Face à cette nouvelle réalité, ce dernier évoque la location sur le mobilier, une pratique encore très peu courante aujourd’hui. «  Une entreprise qui aurait un besoin ponctuel de mobilier sur un projet particulier de plusieurs mois voire de quelques années pourraient très bien le louer. Pour le moment, l’équation économique n’a pas vraiment été trouvée  : la demande des entreprises n’est pas encore assez affirmée, principalement pour une question d’habitudes, et donc l’offre ne s’est pas alignée  », note le fondateur de Bluedigo. Mais au rythme où vont les choses, nul doute que des solutions émergeront, à l’instar du concept Workspace as a service développé par Slean, et pourront faire des émules.  

Enfin, la durabilité des aménagements pose une dernière question presque philosophique  : faut-il chercher à tout prix la «  tendance  » et le «  sur-mesure  »  ? En réponse, Pierre Bouchet préconise lui de standardiser un maximum. Un discours plutôt éloigné des ritournelles actuelles, et pourtant, selon lui, condition sine qua non d’une forme de sobriété et de durabilité des aménagements. « Standardiser consiste à définir un concept d’aménagement pertinent, riche et affiné, puis à généraliser ce même concept d’un étage à l’autre au sein d’un bâtiment - en s’accordant quelques variations d’espaces en fonction des activités. Seule cette standardisation permettra de réduire les coûts d’exploitation induis par des réaménagements trop fréquents au fil de la vie d’un bâtiment  », appuie le cofondateur de Génie des Lieux. 

Coller au plus près aux attentes et besoins des collaborateurs, résister à des raccourcis et conclusions hâtives face aux évolutions des modes de travail, prévoir des espaces flexibles équipés de mobilier multifonctions et durable, intensifier l’usage des mètres carrés… autant de prérequis pour faire durer ses aménagements dans le temps, en les rendant pertinents et attractifs sur le long terme.


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